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Albert Capellani (1874-1931) est aujourd’hui un nom fameux s’il en fut parmi les metteurs en scène français de la période du muet, encore qu’il fallût du temps et des recherches pour lui donner l’importance qu’il méritait. Comme d’autres pionniers sur lesquels le temps a passé, ce furent plusieurs coups de projecteurs qui permirent de prendre la pleine mesure de son travail, de l’étudier, de revoir sa filmographie et de considérer enfin son œuvre dans son ampleur.

En 2009, dans le cadre de sa programmation du centenaire, le festival Cinema Ritrovato diffusait à Bologne L’Assommoir. La projection du film, issu d’une copie unique provenant du forain Van de Voorde (son fonds est aujourd’hui à la Fondation Pathé), marqua les spectateurs présents. La mise en scène et la direction d’acteurs suscitèrent non pas l’étonnement, mais une déflagration. Il y avait un homme derrière la caméra. Capellani redécouvert faisait, dans les années qui suivirent, l’objet d’un coffret DVD Pathé sous la direction de la Fondation Pathé et de la Cinémathèque française (2011), bientôt suivie d’une édition DVD de la Cineteca di Bologna, mais aussi de plusieurs articles, de l’ouvrage de Christine Leteux (Albert Capellani, cinéaste du romanesque, 2013, édité aux Etats-Unis en 2015) et enfin, il y a tout juste 10 ans, d’une des premières programmations de films à la Fondation Pathé. Celle-ci montra comment Capellani s’était, dans les 15 ans qui suivirent les premières projections du Cinématographe, imposé dans la narration des contes et des drames, inventer ce qui est peut-être le premier film policier (L’Homme aux gants blancs,1909) et porter à l’écran des classiques de la littérature, plutôt de ceux qui portent les drames de la société et la marque de la lutte des classes.

Que sait-on d’Albert Capellani depuis que Georges Sadoul, assez critique à son sujet, qualifia ses premières réalisations « d’une pompe un peu lourde » quand il le présentait dans son Histoire générale du cinéma, Le cinéma devient un art ? Metteur en scène de théâtre passé à la mise en scène chez Pathé en 1905, il devient directeur artistique de la SCAGL en 1908, année de création de cette filiale du coq qui produira de nombreuses adaptations littéraires. Après plusieurs drames chez Pathé, il y sera l’auteur de remarquables longs-métrages. En 1913, sa version des Misérables, nouvellement restauré en 2022 par la Fondation Pathé, est d’ailleurs LE premier long-métrage, précédant de quelques semaines la sortie du Quo vadis d’Enrico Guazzoni. Plusieurs de ses films sont adaptés de pièces, elles-mêmes tirées de romans. Son passage au théâtre aurait été fondamental, encore qu’il n’y fût que secrétaire à l’Alhambra. Il ressort de ce milieu sans l’expérience avec André Antoine qu’on a pu lui prêter, n’empêche qu’il s’empare des possibilités du cinéma et sublime les pièces, sans en faire une simple reprise des scènes.

Au cinéma, Capellani ne crée pas les mises en scène à grand spectacle, de même qu’il n’amène pas la caméra hors des studios. D’autres l’ont précédé et savent utiliser la profondeur de champs. Il est néanmoins de ceux qui créent la vie à l’écran par de nombreux détails et par un savant jeu d’accords : en utilisant le montage à des fins dramatiques, en élargissant le champ de la caméra grâce à des décors constitués de plusieurs niveaux ou par des mouvements panoramiques, en dirigeant les acteurs de façon à ce que, loin des conventions de la scène ou de ce que l’on en suppose, ils effectuent les gestes du quotidien, ceux de la sphère domestique et privée ou ceux en usage dans différentes classes sociales. Aidé en cela par de remarquables acteurs issus du théâtre, il nous relie ainsi à des mondes, celui de la rue, des ouvriers, de la petite et grande bourgeoisie, mais aussi du spectacle et des artistes (La Femme du lutteur, La Vie de Bohème), des affaires (Le Nabab), de la magistrature et de la prêtrise (Quatre-vingts treize, qui a fait l’objet d’une étude de Mélissa Gignac publiée en 2023). En somme, un panoramique non convenu de la société depuis la Révolution de 1789 jusqu’à la Belle-Epoque, surtout de l’univers contemporain des premiers films. Dans le drame moderne ou historique, la narration de Capellani est claire, efficace et ramène la grande histoire au drame personnel.

2014-2024 : la nouvelle rétrospective de la Fondation Pathé redécouvre Albert Capellani sur grand écran pour (re)prendre la mesure de ses réalisations. Elle s’enrichit de trois nouvelles restaurations, celles du Nabab, de Corso tragique et des Misérables et d'un long-métrage réalisé aux Etats-Unis : The Red Lantern (avec Alla Nazimova). Ces drames, qui prennent toute leur mesure dans une peinture sociale, montrent à leur façon des self-made men, des transfuges de classe en prise avec la société, dont les a priori et le jeu des conventions mènent les héroïnes et les héros jusqu’au succès et la déchéance.

Stéphanie Salmon,

directrice scientifique des collections de la Fondation Pathé