
Comme une grande partie du reste de l'Amérique latine, le Brésil est entré dans le monde du cinéma un an après l'inauguration du cinématographe par les frères Lumière à Paris en décembre 1895. Des projections avec un appareil appelé l'omniographo, qui promettait des « Vistas Animadas », des « vues animées », ont été annoncées au 57 Rua do Ouvidor à Rio de Janeiro. Jusqu'en 1905 environ, le cinéma était essentiellement ambulant, les projectionnistes se déplaçant entre différents sites (fêtes foraines, music-halls, théâtres) dans différentes parties du pays. En 1905, l'électrification des grandes villes a permis la création de véritables cinémas, et une production nationale a rapidement suivi.
Les premiers films s’inspiraient souvent de récits de crimes ou de faits divers, comme Os Estranguladores (Les Étrangleurs, 1908) ou O Crime da mala (Le Crime de la valise, 1908). Des troupes itinérantes italiennes et espagnoles produisaient également des films, des classiques européens (plusieurs versions de La Veuve joyeuse) aux œuvres inspirées de la littérature brésilienne, comme O Guarani. Le Brésil développa également un format quelque peu unique, les filmes falantes e cantantes, une combinaison de spectacle sur scène et sur écran, dans lesquels des acteurs derrière l’écran chantaient ou criaient des dialogues. Mais en 1915, une grande partie de cette activité prometteuse s’est assez rapidement arrêtée ; à ce moment-là, des sociétés américaines ont commencé à installer des bureaux au Brésil et, en quelques années, les productions américaines dominaient presque entièrement les écrans brésiliens. Les films français et italiens avaient auparavant été populaires ; désormais, Hollywood s’emparait non seulement de leur part du marché, mais aussi de celle du cinéma brésilien émergent.
Mais, à mesure que la production cinématographique déclinait à Rio et à São Paulo, elle commença à apparaître dans d’autres régions du pays : à Recife, dans le nord-est, dans plusieurs villes de l’État de Minas Gerais, et à Porto Alegre, dans l’extrême sud. Réalisées généralement par des passionnés qui décidèrent de transformer leur passion en véritable film, ces productions étaient en grande partie construites autour d’un attrait local : les histoires, les décors, les acteurs étaient étroitement liés aux lieux de production et, du moins au début, la distribution restait strictement régionale. Le travail d’Humberto Mauro, cinéaste autodidacte originaire d’une petite ville de Minas Gerais, dont les œuvres magnifiques et poétiques comptent parmi les gloires du cinéma brésilien, est particulièrement intéressant.
Au-delà de la production cinématographique, le Brésil avait développé à la fin des années 1920 une culture cinématographique importante, avec un certain nombre de ciné-clubs et même de magazines de cinéma promouvant des œuvres en dehors du courant dominant. Deux immigrants hongrois, Rex Lustig et Adalberto Kemeny, ont célébré leur nouveau pays avec São Paulo : symphonie d’une métropole, un excellent ajout au genre international de la « city symphony », tandis qu'à Rio, Mario Peixoto, qui avait vu des films d'avant-garde contemporains pendant ses études en Europe, a créé Limite, une œuvre étonnamment audacieuse et innovante qui est pour beaucoup le joyau de la couronne du cinéma muet latino-américain. Indisponible et même considéré comme perdu pendant de nombreuses années, Limite sert de merveilleuse coda à ce qui fut le seul cinéma muet important d'Amérique latine.
Richard Peña a établi la sélection des films brésiliens en partenariat avec la Cinemateca Brasiliera.
Il est professeur émérite en études cinématographiques et média à Columbia University et Directeur émérite du New York Film Festival.
Réalisateur, scénariste, décorateur, producteur, le Brésilien Alberto Cavalcanti est une personnalité inclassable et un expérimentateur hors-pair. Né à Rio de Janeiro en 1897, il suit des études en architecture et décoration aux Beaux-Arts de Genève avant de côtoyer les milieux de l’avant-garde parisienne. En 1924, il est assistant à la réalisation pour le film La Galerie des monstres de l’acteur-réalisateur Jaque-Catelain. Il tourne son premier film à Paris en 1926 : Rien que les heures, qui semble initier la veine des symphonies urbaines propres aux années 1920, telle que celle de Walter Ruttmann à Berlin en 1927 ou celle de Rex Lustig et Adalberto Kemeny à São Paulo en 1929. Sa collaboration avec Jean Renoir est fructueuse, il est co-scénariste et assistant du réalisateur sur Tire au flanc en 1928 et fait jouer sa compagne Catherine Hessling dans les deux tragédies amoureuses bouleversantes qu’il réalise : En rade (1927) et La P’tite Lilie (1929). La même année, l’adaptation du roman populaire de cape et d’épée de Théophile Gautier Le Capitaine Fracasse fait figure de rupture radicale avec l’œuvre réalisée jusqu’alors. Car Cavalcanti possède cette capacité de réinventer, expérimenter en permanence ; il s’essaye à tous les genres et produira également une œuvre documentaire impressionnante durant le reste de sa carrière.
Sa formation d’architecte le rattrape et lui permet de collaborer en tant que décorateur avec le cinéaste Marcel L’Herbier. Il conçoit les décors intérieurs du film manifeste des Arts déco L'Inhumaine (1923), auquel participent aussi Robert Mallet-Stevens et Fernand Léger, et de Feu Mathias Pascal, d’après le roman de Luigi Pirandello (1926). Dans un style plus sobre, il réalise les intérieurs paysans du dernier film de Louis Delluc, L’Inondation, tourné en 1923 en grande partie en décors naturels dans le Vaucluse et le Gard, film de commande d’un Marcel L’Herbier producteur à un ami cinéaste en difficulté.
Si la carrière internationale d’Alberto Cavalcanti se poursuit jusque dans les années 1970 avec une œuvre prolifique et protéiforme, ce touche-à-tout insatiable a néanmoins profondément marqué la période du cinéma muet en France par ses collaborations et réalisations audacieuses.
Les séances sont accompagnées par les pianistes issus de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel (CNDMSP).
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