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Roger Corbeau (1908-1995) est devenu photographe grâce à sa passion pour le cinéma. Fasciné par les actrices, les acteurs, mais aussi par cet ensemble qui les met en scène et les magnifie - lumières, décors, accessoires, costumes, maquillages, coiffures - l'œil du jeune Corbeau photographie et enregistre ce qu'il voit pour n’avoir de cesse, par la suite, de reproduire cette perfection.
Grâce à ce cycle - florilège de l'art du muet et miroir de l’exposition - la Fondation Pathé nous invite à découvrir ou à redécouvrir aujourd’hui les films que Roger Corbeau voyait enfant avec sa mère à Haguenau puis adolescent à Strasbourg. Nous revisiterons ainsi les images inaugurales des visages bouleversants et des paysages inoubliables ; autant de fulgurances et d’éblouissements qui ont créé l’imaginaire d’un grand photographe. C’est un privilège rare.
Alors comment choisir entre le serial en deux parties de Fritz Lang (Les Araignées) ou son film-fleuve fondateur (Les Nibelungen), entre les vicissitudes du couple Janet Gaynor/Charles Farrell chez Borzage (L’Heure suprême) ou l'errance de Lillian Gish chez Griffith (A travers l’orage), entre le vent, le ciel et les tempêtes d’Epstein (Finis Terrae) ou les chefs-d’œuvre de Dreyer (Vampyr, La Passion de Jeanne d’Arc) ?
Deux magnifiques raretés avec Conrad Veidt redécouvertes ici il y a peu, seront programmées : Les Maudits avec Jenny Hasselquist, dont la seconde partie est hélas, à ce jour, considérée comme perdue, et Le Violoniste de Florence, tourné en décors naturels avec les incomparables Elisabeth Bergner et Nora Gregor.
Les deux idoles du photographe seront aussi mises à l’honneur : l’Américaine Pearl White - française de cœur enterrée au cimetière de Passy où Corbeau s’était recueilli - dans son serial mythique Les Mystères de New-York, dont nous ne verrons que quelques épisodes (compte tenu de sa durée et de la disponibilité des copies), et l’Allemande Henny Porten – avec qui Corbeau a entretenu une correspondance au début des années 1950 jusqu’à sa mort en 1960 - que l’on retrouve comme actrice et productrice du remarquable classique Escalier de service.
On peut encore citer Casanova le rôle-clé d’Ivan Mosjoukine – que Corbeau aura le bonheur de photographier dans Nitchevo – ou les deux versions muettes et parlantes de Violettes Impériales avec Raquel Meller ; pour la première Corbeau est un jeune spectateur admirateur dans une salle de cinéma, pour la deuxième huit ans plus tard, il est un aide-costumier débutant passé de l’autre côté de l’écran, qui a fait de son rêve une réalité.
Il y a aussi trois merveilleuses comédies américaines de mise en abyme entre cinéma, théâtre et cirque : Mirages (Show People), Ella Cinders, Bessie à Broadway (The Matinee Idol),avec trois grandes comédiennes (Marion Davies, Colleen Moore, Bessie Love) signées par King Vidor, Alfred E. Green et Frank Capra. Côté comédies on citera encore Je ne voudrais pas être un homme de Lubitsch dont Ossi Oswalda – la Mary Pickford allemande – est l’interprète idéale, ainsi que la somptueuse « viennoiserie » ou satire aristocratique de Stroheim avec Mae Murray et John Gilbert (La Veuve joyeuse). Ne sont pas oubliées les Allemandes Kate de Nagy (Rails de l’Italien Camerini), Lil Dagover (Tartuffe de Murnau avec Emil Jannings dans le rôle-titre) et Brigitte Helm (L’Argent du Français L’Herbier). Les dive italiennes Pina Meniccheli (Le Feu) et Francesca Bertini (Sang bleu) sont aussi représentées, comme les Françaises Musidora, interprète et réalisatrice de Pour Don Carlos, Catherine Hessling, mise en scène par son mari Jean Renoir dans La Petite marchande d’allumettes et la si émouvante Sandra Milowanoff chez René Clair (La Proie du vent).
La Rue sans joie enfin, qui cristallise encore les fantasmes des cinéphiles en réunissant les stars Greta Garbo et Asta Nielsen (Hamlet), les géniaux seconds rôles Valeska Gert (Telle est la vie) et Werner Krauss et la figurante Marlene Dietrich, dont l’apparition dans le chef-d’œuvre de Pabst est toujours sujet à controverse.
Dans les années 1960, Corbeau avait obtenu l’accord de Garbo puis de Dietrich pour les photographier mais, contre toute attente, il ne donnera jamais suite, ni dans un cas ni dans l’autre. Avait-il peur d’être confronté au réel, au mythe, au passage du temps ? Sans doute tout cela à la fois. Restent les films, les images en mouvements des projections et celles, fixes, recréées et inventées par Roger Corbeau. Toutes appartiennent désormais à l’éternité.
Isabelle Champion, co-commissaire de l’exposition « L’œil de Roger Corbeau »
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