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FONDATION JÉRÔME SEYDOUX-PATHÉ

Cycle

Jacques Feyder, cinéaste du réalisme

Du  20/12/23  au  10/01/24 


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« Jacques Feyder est au cinéma français ce que Degas fut à l'impressionnisme, ce que Ravel fut au réveil de la musique française, écrivait Henri Langlois. Et c'est pourquoi de tous les cinéastes français de sa génération, il fut le seul qu'Hollywood fit sien, comme il l'avait fait de Lubitsch, de Sjöström et de Murnau. Il suffisait de quelques minutes de conversation avec un Grémillon, un Carné, pour saisir tout ce qu'il représentait pour eux et pour tant d'autres dans les générations qui suivirent, celle de Gance et de Germaine Dulac. De Gance, on dit toujours qu'il est un génie, de Feyder, on dit qu'il est un maître. Son œuvre fut exemplaire pour tous ceux qui, vers 1924, préparèrent le devenir du cinéma français. Et il fut le seul de nos cinéastes à avoir marqué au temps du muet, de son influence, le cinéma allemand. Thérèse Raquin fut une date, un tournant, la fin de l'expressionnisme. Pour nous autres, Jacques Feyder est l'homme qui est le trait d'union entre notre grand cinéma des années 1910 et celui des années 1930, comme René Clair fut le trait d'union entre le cinéma muet et le cinéma parlant ». Si Thérèse Raquin est vraisemblablement un film perdu, ce qui reste de la période muette du cinéaste révèle une œuvre rigoureuse et sensible, caractérisée par une volonté d’exploration de l’âme humaine et des territoires.


Feyder débute comme comédien de théâtre et rencontre à cette occasion Françoise Rosay, cantatrice et comédienne qui deviendra son épouse. Dès 1912, il joue de petits rôles au cinéma, dans Protéa de Jasset (1913), Les Vampires de Feuillade (1915) ou chez Gaston Ravel dont il est aussi l’assistant. En 1915, à la faveur d’une absence du réalisateur pour cause de maladie, Feyder termine le tournage de Monsieur Pinson, policier à la grande satisfaction de Léon Gaumont. De 1916 à 1919, il réalise de nombreux films comiques pour la firme, comme l’intrépide exercice de style Têtes de femmes… femmes de tête ou Le Pied qui étreint, pastiche de La Main qui étreint, feuilleton publié dans le journal Le Matin et parodie des Mystères de New York de Louis Gasnier (1914).


En 1921, il tente une audacieuse adaptation du roman à succès de Pierre Benoît L'Atlantide. Un budget conséquent lui permet de tourner le film en décors naturels, dans le Sahara algérien et dans le massif montagneux du Hoggar. La splendeur des images et des décors, l’interprétation de Jean Angelo, Georges Melchior et Stacia Napierkowska dans le rôle d’Antinéa, contribuent au succès phénoménal du film qui confère à Feyder une reconnaissance publique et professionnelle immédiate. Ses talents d’adaptateur s’affirment tout autant que sa maîtrise les techniques cinématographiques et sa créativité. En 1922, il porte à l’écran la nouvelle d’Anatole France Crainquebille, critique de l’institution judiciaire, en accordant une profonde humanité au personnage interprété par Maurice de Féraudy. Dans ce film, lui écrivait Abel Gance, « tout est ordonné, mesuré, avec un art très sûr, et le pathétique, contrairement à son habitude, arrive par les chemins d’une inattendue simplicité ».


En 1923, Visages d'enfants, d’après un scénario écrit par le cinéaste et tourné en Suisse, dans le Haut-Valais, est une âpre peinture de mœurs, un drame au style retenu qui, malgré sa justesse et la beauté des prises de vues, ne retiendra pas l’attention du public, tout comme son film suivant L’Image. Fragilisé par ces déconvenues, Feyder s’associe en 1925 au producteur russe Alexandre Kamenka, qui a installé sa société des Films Albatros au studio de Montreuil et collabore avec des cinéastes français comme Jean Epstein, Marcel L'Herbier ou René Clair. Kamenka favorise d'heureuses rencontres, notamment celles avec Henri Chomette et le décorateur Lazare Meerson, avec qui Feyder s'associe pour plusieurs projets, à commencer par Gribiche. Pour ce film, Meerson associe de fabuleux décors de style Art Déco à des pièces d’ameublement empruntées à Sue et Mare. Adapté d’une nouvelle écrite pour le cinéma par Frédéric Boutet, Gribiche traite à nouveau de l’enfance perturbée. Feyder retrouve le jeune acteur Jean Forest, qui joue déjà dans Crainquebille et Visages d’enfants, et offre pour la première fois un rôle important à son épouse Françoise Rosay.


En 1926, Kamenka a engagé la chanteuse et comédienne espagnole Raquel Meller, célèbre pour son interprétation de la chanson La Violettera et pour le film d’Henry Roussel Violettes Impériales (1924). Elle veut incarner Carmen sous la direction de Feyder. Le film est tourné en Espagne et dans de splendides décors de studio construits par Meerson. Sur le plateau, les relations entre le cinéaste et la comédienne sont tendues, leur vision du personnage diverge. Feyder s’inspire de la nouvelle de Mérimée, non pas de l’opéra-comique de Bizet, il vise un film dramatique et sombre alors que Meller envisage la Sévillane comme une personne noble et chaste… tout sauf dangereuse et marginale. À noter dans ce film l’interprétation de Gaston Modot dans le rôle de Garcia le borgne et l’apparition de Luis Buñuel dans un petit rôle de contrebandier.


Feyder envisage ensuite d’adapter un autre roman de Pierre Benoît, Le Roi lépreux, et part en 1927 en repérage en Indochine et au Cambodge. Le film ne se tournera jamais, toutefois il ramène de son voyage des images documentaires réunies dans un court-métrage intitulé Au pays du roi lépreux. La société de production allemande D.E.F.U. l’invite alors à Berlin pour adapter Thérèse Raquin d’après le roman de Zola. Le film rencontre un franc succès public et critique et attire l’attention des producteurs américains. Avant son départ pour les États-Unis, Feyder tourne Les Nouveaux Messieurs, adaptation d’une pièce de boulevard de Robert de Flers et Francis de Croisset, comédie satirique qui raille, à travers les fréquentations amoureuses d’une jeune danseuse, les mœurs politiques françaises. Après avoir subi quelques coupes de censure, le film reçoit en France un accueil mitigé mais conforte les Américains dans leur choix de s’associer au cinéaste. "Sans le savoir, ce film léger, inspiré d’une comédie d’avant-guerre de 1914 de Flers et Caillavet, préfigurait la France de 1936, écrivait Henri Langlois. La transposition de cette comédie dans la France des années 1920 est exemplaire. Tout y est repensé en fonction de la vie et de la réalité contemporaines. Aucune fausse note, aucun anachronisme. Les Américains ne s’y trompèrent point, ils nous arrachèrent Feyder. Et aujourd’hui, nous nous trouvons devant l’évidence : ce film qui n’eut aucune influence en France, eut une influence profonde sur l’évolution de la comédie américaine, et jusqu’à Busby Berkeley ».


Feyder part donc pour Hollywood, sous contrat avec la MGM, et réalise The Kiss avec la star Greta Garbo, Conrad Nagel et le jeune premier Lew Ayres qui jouera l’année suivante le rôle principal dans All Quiet on the Western Front (À l'Ouest, rien de nouveau) de Lewis Milestone. Dernière œuvre muette du cinéaste et de la MGM, The Kiss n’en est pas moins un ultime gage de virtuosité tant l’indéfectible poursuite des expérimentations techniques et esthétiques se traduit par une mise en scène fluide et toujours audacieuse. Feyder et Garbo tourneront ensemble la version allemande d’Anna Christie dont Clarence Brown a réalisé la version américaine. Après quelques autres films américains, dont Day Break et Son of India en 1931, Feyder revient en Europe où il réalise les œuvres qui vont parfaire sa renommée, entre autres Le Grand Jeu, Pension Mimosas et La Kermesse héroïque.



Les séances sont accompagnées par les pianistes issus de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel (CNSMDP).


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