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FONDATION JÉRÔME SEYDOUX-PATHÉ

Séance

"Vendémiaire", Louis Feuillade, 1918 (2h23)


Vendémiaire

1918 - 2h23

France


Réalisation et scénario : Louis Feuillade

Photographie : Léon Klausse, Maurice Champreux

Montage : Maurice Champreux

Production : Société des Établissements L. Gaumont

Avec : René Cresté, Edouard Mathé, Louis Leubas, Mary Harald, Mlle. Lugane, Mlle. Fabiola, Gaston Michel, Manoël Camére, Georges Biscot, Jane Rollette, Emile André, André Séchan, Olinda Mano

Invalidé en septembre 1918, le sergent Pierre Bertin est envoyé dans le Sud, où l'on a besoin de travailleurs pour les vendanges. Il est recruté avec d'autres par Bernadou, l'exploitant d'un domaine appartenant au capitaine de Castelviel, devenu aveugle pendant la guerre, qui y vit avec sa vieille mère. Parmi les hommes, deux Allemands en fuite, qui ont réussi à se faire embaucher en se faisant passer pour deux soldats belges qu'ils ont assassinés à l'aller. L'un parle français et l'autre prétend être muet. Afin de se procurer de l'argent pour passer en Espagne, ils volent la paie des vendangeurs et accusent Sara « la Caraque », une gitane vagabonde qui élève seule sa fille après avoir perdu son mari au front.


Format de la copie : DCP

Provenance de la copie : GP Archives


La séance du 17 novembre est accompagnée par Emmanuel Birnbaum, fondateur de l'École Française de Piano.

La séance précédente est accompagnée par un pianiste issu de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel (CNSMDP).


Le nom de Feuillade évoque immédiatement Fantômas et Les Vampires, œuvres phares de son œuvre prolifique (500 films), qui ont marqué de manière mémorable la naissance du feuilleton français et la création d'un mythe urbain moderne. Titre presque oublié, à l'histoire tourmentée, Vendémiaire trouve aujourd'hui la place qu'il mérite et constitue une bonne occasion de « revisiter le canon » de son réalisateur. C'est à mon avis la plus belle œuvre de Feuillade et l'un des plus beaux films muets français.

Lorsqu'il commence à tourner en septembre 1918, Louis Feuillade (né en 1873) est directeur artistique à Gaumont depuis une dizaine d'années. Il s'installe définitivement à Nice, où se trouvent les studios et le personnel de Gaumont, et où il a les coudées franches pour mener sa carrière à son apogée. Jusqu'à sa mort en 1925, Feuillade reste fidèle au feuilleton, source de son succès, avec ses intrigues compliquées et ses multiples rebondissements. Il est donc d'autant plus remarquable qu'il se soit accordé une parenthèse, quittant Nice pour tourner dans les vignes de sa ville natale, Lunel, près de Montpellier – un ultime retour aux sources. Vendémiaire possède ainsi une qualité particulière. Il est aussi beaucoup plus court que ses voisins, Tih Minh et Barrabas : Feuillade a dans ce cas abandonné la structure sérielle, produisant une œuvre plus uniforme qui constitue une échappée singulière dans sa carrière.

Vendémiaire connaît cependant des débuts malheureux auprès du public. Les esprits sont tout autres au moment du salon de novembre 1918, et lorsque le film sort en deux parties les 17 et 24 janvier 1919, cela fait à peine deux mois que l'armistice a été signé ; les spectateurs commencent à se détourner des films qui leur rappellent le douloureux conflit trop récent. Vendémiaire est un fiasco, et son échec devient une malédiction qui perdure jusqu'à aujourd'hui.

L'histoire se déroule pendant la guerre, à l'arrière des lignes, et l'action a lieu principalement dans la région viticole du Languedoc, au sud, tandis que d'autres scènes situées dans le nord de la France (reconstituées en studio) sont racontées au moyen de flashbacks insérés. Invalidé en septembre 1918, le sergent Pierre Bertin est envoyé dans le Sud, où l'on a besoin de travailleurs pour les vendanges. Il est recruté avec d'autres par Bernadou, l'exploitant d'un domaine appartenant au capitaine de Castelviel, devenu aveugle pendant la guerre, qui y vit avec sa vieille mère. Parmi les hommes, deux Allemands en fuite, qui ont réussi à se faire embaucher en se faisant passer pour deux soldats belges qu'ils ont assassinés à l'aller. L’un parle français et l'autre prétend être muet. Afin de se procurer de l'argent pour passer en Espagne, ils volent la paie des vendangeurs et accusent Sara « la Caraque », une gitane vagabonde qui élève seule sa fille après avoir perdu son mari au front. La vérité est enfin révélée lors de la fête des vendanges, avec la dégustation du vin nouveau.

Vendémiaire ressemble à une œuvre patriotique et chauvine, ce qu'elle est certainement (des images du défilé de la Victoire ont été ajoutées pour la sortie du film), mais il faut garder à l'esprit qu'en septembre 1918, l'Allemagne aurait encore pu gagner la guerre, les dernières offensives ayant eu lieu en juillet. Le film suit de près l'actualité. Après quatre années de combats, le Sud, comme les autres régions rurales françaises, est exsangue, et Feuillade est conscient du prix payé par la région pour ce massacre lointain. Le vin répandu sur le sol est le sang de sa jeunesse, et les vendanges sont une image biblique de la guerre. La cuve où fermente le raisin représente le chaudron qui brasse le peuple, et Gaumont annonce d’ailleurs explicitement au sujet du film que « le vin nouveau est le vin de la liberté, à boire par les générations nouvelles ».

Il y a beaucoup d'intuition dans la description des bouleversements sociaux de l'après-guerre en France : le sacrifice d'une génération de jeunes hommes, la fin irrévocable d'un monde rural, le déclin de la vieille aristocratie (parfaitement symbolisée par le nom de Castelviel), le rôle des femmes dans le remplacement des hommes absents, la montée des classes moyennes, ou encore le brassage des populations.

Vendémiaire possède une dimension allégorique évidente, incarnée par les noms mêmes de ses personnages et nourrie par la culture de la Bible et de l'Antiquité classique. Un aveugle a des visions, le « muet » trouve sa voix dans l'ivresse, la vérité est révélée par le vin (« in vino veritas »), et l'existence d'un « enfant miracle » est révélée à la fin. Les deux filles du vieillard Larcher s'appellent Marthe et Marie, noms évangéliques qui, avec celui de Sara « la Caraque » (terme régional péjoratif désignant un « vagabond gitan »), forment la trinité des « Saintes Maries » vénérées en Camargue. Il est à noter qu'une longue intrigue secondaire nous emmène dans une ville voisine occupée par des Allemands ineptes, où l'autre fille de Larcher, Louise, a des retrouvailles secrètes avec son mari soldat, ce qui donne naissance à « l’enfant miracle ».

Les enfants, toujours aussi bien filmés par Feuillade, gambadent parmi les pampres et les souches comme de petits dieux païens : le film est plus dionysiaque que chrétien. La lumière éblouissante du ciel méditerranéen joue un rôle de révélateur, mais des ombres profondes demeurent. Ce n'est pas aussi manichéen qu'on pourrait le croire. Vendémiaire est avant tout un grand poème.

Enfin, il faut noter la sensibilité de Feuillade à la lumière, au paysage et au langage physique des travailleurs : Vendémiaire doit être le plus beau film jamais réalisé sur la viticulture, avec une précision quasi ethnographique. Feuillade était un grand paysagiste et un photographe attentif aux visages, et ces talents conjugués font de Vendémiaire un poème bucolique comme il en existe peu dans le cinéma français.

- François Amy de la Bretèque




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