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FONDATION JÉRÔME SEYDOUX-PATHÉ

Séance

"Hell's Heroes", William Wyler, 1929 (1h04)



La séance du 4 novembre est présentée par Jay Weissberg, Directeur des Giornate del Cinema Muto.



Hell's Heroes

1929 - 1h04

États-Unis


Réalisation : William Wyler

Scénario : C. Gardner Sullivan et Tom Reed, d’après le roman The Three Godfathers de Peter B. Kyne

Photographie : George Robinson

Monteur : Harry Marker

Production : Universal Film

Avec : Charles Bickford, Raymond Hatton, Fred Kohler, Fritzi Ridgeway, Jo de la Cruz, Walter James, Maria Alba, “Buck” Conners

Un trio de braqueurs de banque trouve un bébé dans le désert et, presque malgré eux, sacrifient leur vie pour le sauver et le ramener dans une ville située à des kilomètres de là.


Format de la copie : DCP

Provenance de la copie : George Eastman Museum


Les séances sont accompagnées par les pianistes issus de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel (CNSMDP).


Dans les années 1960, alors que j’étais au Pays de Galles pour travailler sur un film, je tombai sur une petite boutique en difficulté qui vendait une partie de sa filmothèque. Parmi les boîtes rouillées de films muets sur les zoos ou la menuiserie, il y avait un nombre surprenant de westerns. Le propriétaire me confia cette passionnante découverte afin que je puisse faire ma propre sélection, et je découvris que tous ces films provenaient d’Universal. Son président, le génial Carl Laemmle – « Oncle Carl », comme l’appelaient ses employés – était d’une nature charitable, et avait beaucoup œuvré pour les réfugiés pendant les deux guerres mondiales. Il se rendait régulièrement dans sa ville natale de Laupheim, en Allemagne, et voyageait beaucoup. Il était également un parent éloigné de la mère de Wyler. Wyler lui-même fit sa connaissance à Zurich, où on lui avait promis un emploi chez Universal à 25 dollars par semaine. Il y fit preuve d’un tel talent qu’on lui confia la réalisation de westerns en deux bobines dès l’âge de 21 ans. Ces films, quoique bon marché et rapidement réalisés, étaient aussi inédits, souvent excitants, et avec de magnifiques prises photographiques. Le plus ancien du lot était The Crook Buster (1925), qui se révéla également être le premier essai de Wyler en tant que réalisateur.

Au fur et à mesure que je parcourais les films, tous en 16 mm et d’excellente qualité, je me familiarisai avec les talents (ou l'absence de talents) des différents cinéastes. Après les avoir tous visionnés, je me rendis compte que chaque titre que j’avais décidé d’acheter avait été réalisé par William Wyler. En 1929, il avait réalisé 32 films, dont cinq longs métrages de la série Blue Streak et 20 de la série Mustangs, qui comprenait notamment Ridin' for Love – seule œuvre où il a été crédité au scénario.

En 1963, lorsque j’appris que Wyler était à Londres, je téléphonai à son hôtel. Il m’indiqua pouvoir m’accorder dix minutes – et je restai deux heures. Il m’invita même à revenir avec mon projecteur afin de lui montrer les films. Quelle soirée ce fut ! Wyler (1902-1981) était originaire de Mulhouse, en Alsace. Il s’exprimait encore avec un accent. C’était un homme charmant et sympathique, et il se montra très amusé de redécouvrir ces films. Parce qu’« Oncle Carl » approuvait l’idée que les enfants ne devaient pas être exposés trop tôt à la violence (plus tard, il règnerait sur les sagas de Frankenstein et de Dracula !), ces films, de la série Mustang, ne mettaient en scène aucune fusillade – les cow-boys se battaient simplement entre eux.

Le biographe de Wyler, Axel Madsen, a identifié son premier film parlant, Hell’s Heroes (1929), comme une relecture de l’Évangile selon St. Matthieu, une adaptation de l’œuvre de l’auteur prolifique Peter B. Kyne, The Three Godfathers. Carl Laemmle Jr – connu simplement sous le nom de « Junior » – qui devint directeur général le jour de son 21e anniversaire, le 28 avril 1929, confia d’abord à Wyler un scénario intitulé The Cohens and Kellys in Scotland. Wyler refusa catégoriquement de le réaliser, s’attirant les foudres de Junior. Mais ce dernier avait conscience du talent de Wyler, et, la comédie juive et irlandaise ayant été confiée à un autre, lui permit finalement de travailler sur The Three Godfathers.

Lorsque je rencontrai Wyler, je l’interrogeai sur cette œuvre. « Il a été réalisé par John Ford avant moi », me répondit-il. « Puis je l’ai réalisé sous le titre Hell’s Heroes. Puis Boleslavsky l’a réalisé et Ford l’a refait. Et la dernière fois que j’ai vu John Ford, sur son lit de mort, il m’a dit : "À ton tour de refaire The Three Godfathers". »

Axel Madsen décrivit Hell’s Heroes comme la première œuvre « adulte » de Wyler : « C’est aussi le premier film où il impose son concept et où il montre qu’il a su rompre avec les formules des westerns ». Malgré les objections du caméraman George Robinson, qui trouvait que les ciels sans nuages avaient l’air plats et que les paysages sans reliefs étaient horribles, Wyler s’assura que ce dernier n’embellisse pas la photographie. « Je veux que ça ait l’air horrible », déclara-t-il.

Charles Bickford était un acteur de théâtre qui n’avait que peu de respect pour le monde du cinéma. À Wyler, qui lui demanda de traîner son fusil derrière lui pour exprimer la soif de son personnage dans le désert, il répondit : « C’est nul ». Et, lorsqu’on lui demanda de proposer une alternative, que Wyler rejeta, il s’emporta : « Eh bien, c’est tout de même comme ça que je vais jouer la scène ». Il ne voulut pas en démordre et refusa de tourner la scène des deux façons. Alors, le jour où il fut de repos, Wyler demanda à quelqu'un de porter ses bottes et obtint que Robinson filme uniquement les traces laissées par ces dernières dans le sable. « Elles allaient d’abord tout droit, puis en zigzag, puis on voyait l’endroit où le personnage était tombé, et enfin son fusil, qui gisait à côté. »

Le film a été tourné dans le désert de Mojave et dans la vallée de Panamint, au bord de la vallée de la Mort. C’est Bodie, une authentique ville minière d’or et d’argent dans les High Sierras de Californie, qui fut choisie comme lieu de tournage principal. Il s’agit du premier film en extérieur entièrement sonore produit par Universal. « Il a été réalisé dans des conditions extrêmement difficiles », déclara Wyler à Madsen. « La caméra devait être montée dans une cabine capitonnée avec une fenêtre insonorisée à l’avant et une porte rembourrée à l’arrière. Bien sûr, Robinson était dans la cabine avec la caméra. Étant donné que le script présentait des hommes en train de fuir... je ne pouvais pas les faire s’arrêter tout le temps pour déclamer. Nous avons donc dû imaginer des plans de caméra en mouvement capables de capturer les dialogues. Pour cela, il fallait déplacer la cabine capitonnée sur des rails. Imaginez un peu... Une douzaine de gars poussant ce truc dans la Vallée de la Mort au milieu du mois d’août, dans un silence absolu. Tous les trois mètres environ, on avait dissimulé des microphones dans des cactus et des armoises. Une fois, lorsqu’on a ouvert la porte de la cabine, on a trouvé le caméraman évanoui. Dehors, il faisait presque quarante degrés. À l’intérieur de la cabine, il en faisait quasiment cinquante. »

Les versions silencieuses des films parlants étaient généralement très ennuyeuses. On les projetait avec des titres complets et un accompagnement quelconque, au profit des théâtres qui n’étaient pas encore équipés pour le son. Les films de ce type avaient tendance à être traités avec condescendance par les critiques anglais, mais le Film Weekly (7/06/1930), basé à Londres, s’avéra très impressionné. « Outre le fait qu’il s’agit d’un excellent film, Hell’s Heroes est remarquable parce qu’il semble être le début d’une véritable amélioration dans la production d’Universal, qui, à quelques exceptions près, a toujours été conçue pour s’adresser presque exclusivement à ce que l’on appelle poliment "le grand public". Le film raconte la triste histoire d’un genre particulièrement masculin, celle d’un trio de braqueurs de banque qui trouvent un bébé dans le désert et qui, presque malgré eux, sacrifient leur vie pour le sauver et le ramener dans une ville située à des kilomètres de là. Depuis Greed de Von Stroheim, l’atmosphère terrifiante du désert de l’Ouest n’avait jamais été portée à l’écran avec autant de réalisme. On ressent presque la puissance de la chaleur, et on a l’impression d’avoir la gorge aussi sèche que les hommes à l’écran. C’est ce réalisme qui fait du film, en partie, une image vivante de la lutte de l’homme contre la nature, dans l’un de ses aspects les plus sombres. »

Hell’s Heroes a été présenté à Pordenone en octobre 1994, dans le cadre d’une double rétrospective, « Hollywood Independents », consacré à Wyler et Monta Bell. Dans Griffithiana 71 (2001), Mark Le Fanu a déclaré que cette projection constituait « l’un des grands souvenirs collectifs des Giornate ».


Kevin Brownlow




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